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Le Chale Wote, “Mec, remue-toi !” en français : un festival aux statistiques impressionnantes pour ses cinq ans d’âge, organisé sans le soutien financier d’entreprises multinationales et sans une débauche de stands sponsors… ! Rapidement pour les amateurs de chiffres : plus de 200 artistes en 2 jours dans le quartier historique de Jamestown à Accra.

Le week-end débute, l’aube se lève sur deux jours d’intenses festivités. Dès qu’on pénètre au matin à Jamestown, la foule énorme ameutée par le festival n’est pas encore présente, on saisit la charge historique du quartier, témoin de l’implantation des puissances coloniales sur la Côte d’Or. Le long de la John Atta Mills High Street, face à la mer, l’Ussher Fort et le James Fort rappellent les luttes d’influences entre européens et chefs Gâ. Aujourd’hui encore la communauté est majoritaire dans le quartier. Si je l’évoque, c’est que le Chale Wote est construit directement en articulation avec ce passé, les artistes relisent à travers leurs œuvres l’histoire du quartier et, en creux, celles du pays et du continent.

Jamestown est ce voisinage pauvre de pêcheur, ce dédale de ruelles où jadis les habitants se protégeaient des marchands esclavagistes, l’ennemi d’aujourd’hui est ce festivalier non averti qui peut mettre du temps, et encore du temps, à trouver une œuvre… et pourtant l’évènement est construit autour d’une grande rue principale !

Une soixantaine d’années s’est écoulée depuis la fin de la période coloniale et durant 2 jours les fils de pêcheurs côtoient dans un grand défilé sans codes les golden boys d’Accra. Dans cette foule, un festival de couleurs et de costumes dans le festival, la diversité des vêtements est l’incarnation vivante de ce mélange des cultures et des classes : un homme porte avec élégance un veston de papier mâché, un autre des lunettes de ski, un dernier un ensemble en osier peint qui lui fait comme un corset. Styles inimitables et œuvres en soi.

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Pour ajouter au tableau, la rue principale est pleine cette année de figures des personnages de parades et autres processions, dont les masques inquiétants sont portés avec le complet occidental. Les “vampires” aussi – un groupe d’hommes maquillés – qui poussent de grands cris et font fuir la procession d’enfants qui ne les lâchent pas d’une semelle. Le mélange de ces troupes avec les processions rituelles, mises en scène d’éléments de cultures locales, font une alchimie fourre-tout, comme me dit Stevo Atambire “Chacun fait la démonstration de ses traditions.”

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Loin d’être un festival type musique folklorique celtique, le Chale Wote garde omniprésente la dimension politique. La plupart des œuvres exposées appellent à se questionner : “Caught in the web” de Kwame Boafo par exemple, performance d’art vivants qui rejoue devant le public la violence ressentie par l’artiste lorsque ses références intellectuelles africaines sont déclassées et snobées par un public érudit occidental. On ne perd jamais cet ancrage politique des œuvres aussi abstraites qu’elles soient. On se pose du coup avec les artistes la question des définitions de l’identité africaine aujourd’hui. Dans ce sens “(re)Programming pan-african discourse : a vertical landscape“ de Shanett Dean intrigue. L’œuvre est faite de poteaux recouverts d’un tissage de fils et de composants électronique : totems africains et antennes électriques chargées de connecter les diasporas et les communautés africaines entre elles, au centre Shanett pose l’idée du “repenser la façon dont on se représente les uns les autres (rethink the way we think about each other).”

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On n’a sans doute pas parlé du Chale Wote si on n’a pas abordé – et pour nous chez Akwaaba c’est un peu important – la musique ! On entend au moins autant qu’on voit au Chale Wote et la programmation est audacieuse, en gros pas que du style afrobeats nigérian à longueur de journée… La scène, en particulier la grande scène du High Life Café, se partage entre les musiciens alternatifs voire carrément de niches, le hiplife et le highlife – genres très populaires au Ghana – aux horaires de grandes affluences. On note par exemple la présence de star comme Blitz The Ambassador, ou Wanlov The Kubolor (pour les connaisseurs quoi !). Comme me le dit T’Challa qui mixe de la trap sur la scène principale “On ne te force à rien, on te force à être toi…tu viens avec ton art le plus pur (You are not forced to do anything, you are forced to do you …you come with your purest form of art).” L’art pour l’art Chale !

La scène électro, si underground à Accra, est présente : sur la grande scène comme au Otoblohum Square on peut se gaver (un peu) de House ou d’EDM. On a entendu le 20 en fin d’aprem l’EDM très portée Dubstep d’une artiste aussi atypique que Keyz. Elle qui joue une musique peu diffusée en Afrique de l’Ouest a la caractéristique, rare à Accra, d’être femme et DJ ; de son propre aveu le festival est un des rares lieux au Ghana où elle puisse se lâcher. En parlant d’électronique enfin on ne peut pas ne pas évoquer le Turn Up de Jason Kleatsch (accompagné de Steloo sur son set) véritable pionnier de la House à Accra, qui jouait des galettes de techno de Detroit au bar The Republic à Osu il y a 5 ans déjà !

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En mode plus local : Thomas, leader d’un groupe de Highlife, joue pour les chefs dont on voit les portraits en grands sur les murs de Jamestown et à l’occasion pour le Chale Wote. Spontanément, il présente le festival comme un moyen de faire découvrir la culture Gâ locale aux étrangers et de perpétuer fièrement l’héritage ancestral.

Difficile aussi de parler de “street festival” sans le Hip Hop (et le hiplife ghanéen), ultra populaire. Le collectif Yo-Yo Tinz organise des freestyles sur la scène du Old Kingsway Building : ouverts à la participation avec un temps imposé, la plupart des styles qui se disputent la scène hip hop moderne sont présents, les lyrics aiguisés, les punchlines fusent. Ambiance habituelle au Chale Wote : pas de barrières entre la scène et le public, on est loin du staff de sécurité d’un concert des Stones, et c’est bien comme ça. Pour les amateurs comme les habitués un condensé d’hip hop, de la trap au boom bap, gonflé d’influences musicales de tous horizons !

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Enfin, on ne va pas passer sous silence l’extension cette année du festival dans le temps : au-delà du week-end, la semaine qui précède est ponctuée d’évènements et de partenariats avec des espaces d’exposition. Du lundi au vendredi en mode projections ou présentations de travaux plastiques. Des artistes d’horizons africains assez divers ont fait le déplacement, sous le thème de l’année “Spirit Robot” on trouve des productions à l’intérêt et au registre très inégaux : du court métrage d’art et essai au dessin animé pour enfants. Tout le monde prend le thème, se l’approprie à sa manière, et chacun témoigne de l’ébullition de la scène artistique en Afrique de l’Ouest ! En attendant on rentre à la maison les yeux et les oreilles repus, mais on reviendra : See you next year Chale !

Gauthier Schefer

Crédit Photo: Kobe Subramaniam.

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